La processionnaire du chêne : Thaumetopea processionea

processionnaire

Très médiatisé cette année, ce papillon de nuit de la famille des Notodontidae intrigue et inquiète. Qu’en est-il exactement ? Quelles sont les particularités de cette espèce et quels sont les dangers liés à sa pullulation ?

 

Histoire naturelle

La processionnaire du chêne tire son nom de deux traits écologiques remarquables. Les chenilles, lorsqu’elles migrent pour aller se nourrir, se déplacent en files indiennes, faisant penser à une procession. Par ailleurs, son alimentation est presque exclusivement constituée de feuilles des différentes espèces de chênes. Son cycle de vie entier dépend d’ailleurs du chêne (alimentation, nymphose, ponte). Avant de devenir adulte, la chenille passera par 6 stades (5 mues et une nymphose) qui s’étaleront sur 2 à 3 mois.
Les chenilles se regroupent et forment des cocons soyeux où elles muent et passent la journée. En fin de journée, les chenilles sortent de leur nid pour aller se sustenter, c’est à ce moment que se font les migrations caractéristiques des processionnaires. 

processionnaires


Avant leur métamorphose, les chenilles se rassemblent une dernière fois et forment un nid soyeux plus résistant, qui sera collé, soit au tronc, soit à une branche maitresse du chêne hôte. Les jeunes adultes abandonnent ensuite le nid commun. La période de vol s’étend de fin juillet à fin septembre et est dédiée à la reproduction et à la ponte. La femelle déposera ses œufs sur des fines branches dans les hauteurs du chêne choisi. L’arbre sera préférentiellement relativement dégagé. Les œufs passeront l’hiver avant d’éclore vers la fin du mois d’avril, avant que les premières feuilles de chêne n’apparaissent. Elles pourront d’ailleurs rester plusieurs jours en phase de repos, sans se nourrir, en attendant la venue des jeunes feuilles. 

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les grosses chênaies ne sont que peu affectées par cet intrus au gros appétit. Les processionnaires préfèrent les chênes relativement isolés dans des endroits plutôt dégagés, ce qui correspond plus à certains alignements d’arbres de nos communes. 

 

Fiches d’identité

Œufs : plaque blanche à taches noirs sur des fines branches

Jeune chenille : 

  • Tête noire
  • Long poils blancs soyeux
  • Teinte gris-orange

Chenille avancée : 

  • Tête noire 
  • Corps gris-argenté avec une ligne dorsale noire
  • Longs poils blancs soyeux
  • A partir du troisième stade : présence de poils microscopiques urticants. 

Adulte : 

  • Ailes en toit au repos 
  • Ailes antérieures grises avec des taches blanchâtres et aux lignes transversales noires faisant globalement penser à une écorce ou une feuille. 
  • Ailes postérieures plus blanches que les antérieures. 
  • Aspect globalement hirsute surtout au niveau du thorax qui est pourvu d’un » col de fourrure » de teinte plus ou moins grisâtre. 
  • Abdomen gris-orangés. 

 

L’état des populations en Belgique

En Belgique, T. processionea est une espèce indigène non protégée. Elle est rare sur le territoire mais abondante localement. La médiatisation de ces dernières années peut laisser croire que leur venue est récente, certains en imputent même la cause au changement climatique que nous rencontrons. Cependant, les premiers cas connus en Belgique dateraient du XVIIIème siècle. De plus, cette espèce est très bien adaptée à notre climat et se retrouve naturellement dans nos pays voisins, la France, l’Angleterre et les Pays-Bas. Le changement climatique n’est donc probablement pas la cause de l’arrivée de la processionnaire du chêne chez nous, même si ce dernier peut être responsable de la pullulation de ces dernières années. T. processionea est connue pour pulluler de manière cycle. Les « crises » durent généralement trois ans avant de s’estomper. Les causes de cette variation sont multifactorielles : une forte gelée au printemps peut réduire drastiquement la population de chenilles, tout comme un été sec (comme ces deux dernières années) peut favoriser leur prolifération.


Si on se base sur les données d’un site belge d’observations bien connu (https://observations.be/), l’essentiel des observations se trouve en Flandre (Anvers et le Limbourg seraient les plus touchés). Les observations comptant un très grand nombre d’individus restent peu nombreuses. La Wallonie semble beaucoup moins touchée, attention cependant aux biais d’observation (les données entrantes sont notamment dépendantes du nombre d’observateurs actifs sur le site). Toujours en se fiant aux données du même site, le nombre d’observations a explosé en 2018 et 2019 expliquant peut-être la plus grande médiatisation (attention à nouveau car une médiatisation importante peut probablement faire augmenter le nombre d’observations, à cause d’une plus grande vigilance des observateurs). Bien que la Wallonie reste relativement épargnée, la Région Wallonne a mis en place un système de surveillance sur une partie du territoire limitrophe de la France.

 

Nos chênes sont-ils en danger ?

Il n’y a pas de danger immédiat et direct pour le chêne. En effet, lors des plus grandes attaques, les chênes peuvent être défoliés. Cependant la perte des feuilles ne fait que ralentir la croissance et n’est en rien mortel pour l’arbre qui produira de nouvelles feuilles l’année suivante. Lors d’attaques répétées, le chêne peut néanmoins se retrouver affaibli, le rendant plus sensible aux attaques de parasites comme des champignons ou autres ravageurs et donc lui être fatal. 

 

Santé publique

processionnaire

Même si la présence de la processionnaire du chêne reste sporadique, le moindre nid peut provoquer des problèmes de santé publique qu’il ne faut pas négliger. Les chenilles, à partir de leur troisième stade, produisent de microscopiques poils qui contiennent une substance très urticante et qui fonctionnent comme de petits harpons. La structure en harpon permet aux poils de s’accrocher très facilement sur la peau et d’autant plus facilement si la surface de contact est humide.  Ces poils légers et fragiles, s’envolent avec le vent et se brisent lorsqu’on tente de s’en débarrasser en se grattant. Une fois brisés la substance se libère provoquant irritations, œdèmes, voir crises allergiques qui peuvent être sévères. Les muqueuses sont particulièrement sensibles et doivent faire l’objet d’un suivi médical si elles sont atteintes. 
Les animaux domestiques peuvent aussi être fortement touchés. Les chiens, par exemples, peuvent se retrouver exposés en reniflant simplement de l’herbe contaminée ou en étant trop curieux et en s’approchant trop près d’une chenille. 

Ces poils urticants se retrouvent également dans les cocons confectionnés par les amas de chenilles et ces derniers ne disparaissent pas après la métamorphose en adulte. Les nids soyeux restent très problématiques en dehors des périodes d’activité des chenilles et des adultes. A cause du vent qui est un facteur de dispersion, les nids restent dangereux même en hiver. En cas d’utilisation de produits phytopharmaceutiques, ceux-ci devraient être appliqués le plus tôt possible, dès le plus jeune stade des chenilles. Les chênes devraient faire l’objet d’une surveillance dès la fin avril afin de détecter des chenilles encore inactives et qui ne sont pas encore masquées par les jeunes feuilles. 

 

Les moyens de lutte

Rappelons d’abord pourquoi nous luttons. Comme nous l’avons dit, la préservation des chênes n’est pas un argument assez fort que pour entamer une lutte acharnée envers ce papillon. L’intervention est avant tout pour protéger la population humaine des troubles médicaux liés aux poils urticants produits par la chenille.
Des prédateurs et parasites sont naturellement présents dans la nature mais le caractère urticant des chenilles est un moyen de défense très efficace. Arrivée au troisième stade, peu d’oiseaux qui pourraient pourtant être les prédateurs les plus efficaces, risqueraient de s’y frotter. Les jeunes larves et les adultes sont quant à eux plus démunis aux prédateurs. Bien que ne pouvant réguler entièrement la pullulation, favoriser l’implantation d’oiseaux insectivores reste profitable. 

Les phéromones peuvent également être utilisées pour capturer les mâles, en espérant que ceux-ci n’aient pas déjà fécondé une femelle qui ne sera pas du tout attirée par le piège. Cette technique permet néanmoins de limiter la dispersion des populations. 

Le Bacillus thuringiensis pourrait être utilisé contre les chenilles mais il est considéré comme produit phytopharmaceutique et est donc interdit d'utilisation dans les espaces publics. Il en va de même pour les autres insecticides. En cas de nid isolé, le meilleur moyen est probablement de le détruire directement, sans passer par la pulvérisation de produits phyto qui risqueraient d’affecter d’autres espèces complètement inoffensives et protégées pour certaines. Quel que soit le traitement, il faudra réitérer l’opération l’année d’après si une nouvelle population s’installe. Il n’existe aucune solution définitive pour lutter contre la processionnaire du chêne. 

 

Le problème est-il pour autant réglé une fois l’insecte éliminé ? Comme nous l’avons vu plus haut, les nids soyeux qui protègent les chenilles en journée et pendant leur métamorphose ne se dégradent pas après la disparition des individus et restent donc dangereux jusqu’à plusieurs années après l’abandon du nid. Il est donc impératif de détruire le nid, en prenant les précautions maximales requises (combinaison complète avec des gants, des lunettes et un masque). La destruction se fait en les brûlant ou en les aspirant

 

Rappelons enfin que ces papillons préfèrent des chênes dans des lieux plutôt dégagés. Il aimera donc particulièrement s’installer dans les alignements de chênes comme on peut en rencontrer dans nos espaces publics. Si les accidents devaient se multiplier, il faudra alors peut-être se poser la question de la place du chêne dans les alignement d’arbres. Réduire le nombre de chênes dans les environnements dégagés et proches des citoyens devrait permettre de limiter le nombre d’accidents. Même si l’arbre joue un rôle important dans nos espaces verts, le chêne, quant à lui, devrait peut-être rester dans nos forêts caducifoliées. 

 

Précautions à prendre lorsque vous trouvez un nid

processionnaires

 

Si vous trouvez un nid, n’agissez surtout pas de vous-même. Contactez les personnes compétentes de votre commune qui auront les moyens nécessaires pour faire disparaitre le nid avec un maximum de sécurité. 

Si votre habitation se trouve non loin du nid, arroser légèrement votre pelouse avant de la tondre (afin d’éviter l’envol des poils urticants), rincez vos légumes avant de les consommer et portez des vêtements à manches longues. 

 

Pour aller plus loin

Taxonomie :

Ordre - Lepidoptera

Super-famille - Noctuoidea

Famille - Notodontidae

Genre - Thaumetopea

Espèces - Thaumetopea processionea

 

Espèces semblables :

Euproctis chrysorrhoea, « cul-brun » de son nom vernaculaire, a une écologie similaire (présence sur les chênes, tissage de nids soyeux) et possède également des poils urticants. Les chenilles se distinguent par leurs robes qui sont différentes, les culs-bruns possèdent deux points rouges sur leur dos. 

Les hypnomeutes (genre Yponomeuta) présentent des couleurs relativement similaires à la processionnaire du chêne et tissent également des toiles mais ne se retrouvent pas dans les chênes. 

La processionnaire du pin (Thaumetopoea pityocampa) fait partie du même genre que la processionnaire du chêne et présente une écologie très similaire, à la différence que T. pityocampa préfère les résineux. Morphologiquement, la chenille se distingue par un ventre jaune et des tâches rougeâtres sur sa face dorsale. 

 

Déceler sa présence à moindre coût :

La processionnaire du chêne est un papillon de nuit, les adultes sont donc facilement attirés par des pièges à lumières. Une lumière placée derrière un drap blanc permettra de les attirer et de les identifier une fois les papillons posés sur le drap. 

 

Sources :